Un article de la Libre Belgique
Tricoté main Philippe Laloux
Mis en ligne le 07/02/2004- - - - - - - - - - -
Le tricot repointe le bout du nez. L'heure de la (ré)création a sonné.
Le tricot a la cote! Qui l'eût cru? Dans les années septante, le mouvement féministe l'avait affublé des pires tares, faisant de lui l'attribut caricatural de la «bobonne soumise un peu tarte». Mais les a priori finissent toujours par s'effilocher. De fil en aiguille, on sent poindre la fièvre du point mousse.
Leurs adeptes fréquentent les merceries - «même les ados se lancent» nous confie cette jeune vendeuse chez Véritas, elle-même en passe de terminer un chandail jersey pour son copain. Sur Internet, on recense plus de 7000 groupes de discussion autour du sujet. On y cause notamment de «Super Tricot», un CD-Rom fraîchement édité chez Micro Application. Et qui permet, notamment, de créer ses propres patrons. Les magazines féminins lui reconsacrent une place de choix, comme «Marie Claire Idées» qui a relooké ses pages «Travaux d'aiguille».
Dans son ouvrage, «The Urban Knitter» («Le tricoteur citadin»), Lilly Chin, styliste chez Ralph Lauren, prétend, sans détour, que «le tricot est un nouveau type de yoga», «un nouveau moyen d'exprimer son individualité», à l'instar de la méditation. De son côté, Paige West anthropologue à l'université de Columbia (New York) confiait, cette semaine à l'AFP, que le tricot «serait un moyen de développer une relation sociale avec les objets et les gens, et d'obtenir un produit matériel de leurs efforts: revenir à la tradition de nos grands-mères pour s'échapper du tête-à-tête avec son ordinateur.»
Le tricot ne serait donc qu'un prétexte. A l'instar du BHV parisien, dont le «Bricolo café» est devenu l'un des derniers endroits où l'on cause autour d'une perceuse ou d'un tournevis cruciforme, des clubs de tricots apparaissent ça et là. A New York, où le «Knit Café» attirerait jeunes et vieux, hommes et femmes. Ou à Paris, où l'association «Plaisir des aiguilles» réunit, une fois par semaine, les nouveaux adeptes de la pelote.
DO IT YOURSELF
Qui aurait pu prévoir un tel engouement pour ce type de passe-temps? Jamais on avait autant bricolé, jardiné, patouillé, tritouillé, trifouillé... Deux Françaises sur trois font des confitures, tandis qu'elles sont 80 pc à manier le marteau et le pinceau, révèle cette semaine une enquête du magazine «Le Point». Plus l'environnement devient virtuel, plus les «loisirs créatifs» ont la cote.
L'Homme, stressé, opprimé, sollicité, éprouve un insatiable besoin d' «extra ordinaire». Et pour fuire la ronde infernale du quotidien, il renoue avec l'émotion de la découverte et les plaisirs simples, quitte à se remettre à la broderie, au macramé ou à la pâtisserie. Créativité et originalité sont devenues les deux mamelles de l'individualité. On baigne dans le règne du «do it yourself», du produit en kit ou du «fait main».
S'ajoute à cela un nouveau rapport au temps. L'augmentation du nombre de jours de congé, l'allongement des études et de l'espérance de vie, l'abaissement de l'âge de la retraite et les différents modes d'aménagement du temps de travail ont eu pour effet de dilater d'une demi-heure en dix ans le temps quotidien consacré aux loisirs.
L'heure de la (ré)création a donc définitivement sonné avec, en filigrane, ce douloureux paradoxe des temps modernes, concentré dans cette seule équation: plus le temps libre augmente, plus le sentiment d'en manquer est criant. Jadis, «avoir le temps» était le dénominateur commun des classes sociales élevées. Aujourd'hui, «manquer de temps pour faire tout ce que l'on a envie de faire» est devenu un luxe suprême, même pour les cadres supérieurs pour qui la réalisation de soi ne passe plus nécessairement par la carrière, mais aussi, par la qualité de ses loisirs. Quitte à tricoter?
© La Libre Belgique 2004
3 Comments:
Très sympa cet article je me retrouve bien dedans mais malheureusement malgré l'attention médiatique du moment, on continue de tomber sur des horreurs. J'ai vu une mini-sujet sur le tricot sur La matinale de canal+ il y a peu de temps où la pauvre présentatrice montrait son 1er cache-cou réalisé dans 1 laine pas folichonne et ses collègues se sont copieusement moqués d'elle. L'imgae positive du tricot c'est pas gagné.
Curieux !!
Ma génération (les quarantenaires) se moquent de moi quand je parle de mes ouvrages au tricot : "tu deviens une mamie, ma vieille !"
La précédente et la suivante apprécient...
Marie-Hélène
Cet article n'est pas mal du tout, même si son auteur semble tout de même un peu s'étonner qu'on puisse avoir envie de faire des choses de ses mains de nos jours. Pourtant...
Au fait, j'aime beaucoup ton nouveau Birch dragée, il est très original et gai.
Bon courage pour ton dos, c'est vraiment pas drôle.
Val
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